
Mali – Étienne Fakaba Sissoko, ex-conseiller d’IBK, cogne Assimi Goïta : « L’AES est une tragicomédie où chacun croit jouer les héros »
Lemandatexpress – L’universitaire et auteur de plusieurs ouvrages sur la gouvernance au Mali, Étienne Fakaba Sissoko, est l’une des rares voix qui s’expriment sous la junte au pouvoir. Malgré deux incarcérations depuis la chute d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), il multiplie pamphlets et ouvrages critiques. Dans un entretien accordé à Jeune Afrique, cet économiste assène ses vérités sans porter de gants.
Au Mali, face à ceux qui applaudissent la junte au pouvoir depuis cinq ans, sur la base d’une certaine affirmation de la souveraineté nationale, Étienne Fakaba Sissoko a décidé de braquer les projecteurs sur les dévoiements d’un système parti pour s’éterniser. Malgré deux séjours au bagne, il continue de donner de la voix. Car pour lui, se taire serait « cracher sur la tombe de ceux qui sont morts en mars 1991 [lors de la chute de Moussa Traoré] ».
« Ceux qui veulent me faire taire perdent leur temps : même du fond d’une cellule, ma voix continuera à résonner, plus fort que jamais. La démocratie ne transige pas avec les menaces, elle les combat jusqu’à son dernier souffle », soutient-il.
Alors, en réaction à la dissolution des partis d’opposition et à l’octroi, sans élections, d’un mandat de cinq ans renouvelable à Assimi Goïta, il peste avec la dernière énergie. « C’est une mascarade, une violation grossière de la démocratie et de notre Constitution », dénonce l’ancien conseiller d’IBK.
« Assimi Goïta se croit au-dessus des lois. Or il n’est que le reflet d’une autorité qui confond son fusil avec la légitimité. Le départ des autorités de la transition est une exigence absolue et non négociable. »
Il dresse de fait un bilan catastrophique de la gouvernance d’Assimi Goïta, présentant les belles promesses de départ comme de simples boniments. En effet, Étienne Fakaba Sissoko constate qu’en l’espace de cinq ans, la transition a accompli l’impossible, à savoir « transformer une crise grave en désastre total ». Il décrit une société gangrenée par une corruption généralisée, une insécurité croissante, une économie ruinée, une justice corrompue, des libertés bafouées, sans aucun investissement majeur, aucun progrès tangible…
« Le seul exploit [de la junte au pouvoir] est d’avoir transformé une crise en désastre national. Ce bilan est accablant, et indéfendable », renchérit l’auteur du Carnet de Sabu, une chronique qu’il publie sur les réseaux sociaux.
Le jugement qu’il porte sur l’Alliance des États du Sahel (AES), dont fait partie le Mali, est tout aussi dépréciatif que révélateur du scepticisme qu’il nourrit quant à l’avenir de cette confédération. L’économiste voit en l’AES « une tragicomédie où chacun croit jouer les héros alors qu’il n’est que le figurant d’une catastrophe annoncée ». Selon l’ancien prisonnier, ces régimes militaires partagent la même fragilité institutionnelle, économique et sécuritaire. « L’AES, pointe-t-il, n’est qu’un club de régimes dictatoriaux et instables, incapable d’apporter une réponse crédible aux défis que doit relever le Sahel. »
Et même si, dans les trois États membres de l’alliance, les juntes jouissent d’une certaine popularité auprès d’une partie de la population, comme l’indique Jeune Afrique, l’ancien collaborateur d’IBK n’y voit rien d’autre qu’une simple illusion politique. Pour lui, la popularité d’un régime se mesure au bruit des urnes, pas au silence des prisons.
« Ceux qui parlent de popularité vivent dans un fantasme orchestré par une propagande cynique. Un dictateur populaire, c’est comme une démocratie sans élections : une imposture. »
Toujours droit dans ses bottes, au nom de la « vérité », il s’est toujours défendu sans crainte de représailles, ayant visiblement transformé la prison en alliée indispensable dans sa mission d’universitaire « rebelle », éveilleur de conscience.
« La prison, c’est une solitude qui vous oblige à réfléchir profondément, un pèlerinage forcé. J’avais instauré une routine d’écriture intensive : quatre ouvrages rédigés en prison, dont trois déjà publiés et un quatrième bientôt disponible. J’ai écrit pour prouver que, même derrière des barreaux, l’esprit reste libre », rappelle-t-il. Et de lancer avec conviction : « Peu importe le prix, même si c’est pour retourner en prison dix fois, car garder le silence reviendrait à être complice de ceux qui détruisent notre pays. »
Assimi Goïta appréciera.
Martial Galé































