
Côte d’Ivoire :Achi, Mabri, Ahoussou, Serey-Eiffel, ces retours inattendus dans le premier cercle de Ouattara…
Lemandatexpress – Après des moments de « froid » ou presque, ils sont de retour dans l’entourage du président Ouattara. Pour ces acteurs de la scène politique et/ou de l’administration ivoirienne, évoqués par Jeune Afrique, il s’agit d’une nouvelle page qui s’écrit.
Albert Mabri Toikeusse n’a aucune difficulté à revenir sur les périodes tumultueuses du passé. Il n’élude aucune question, pas même celles sur sa présence, en octobre 2020, au grand meeting de l’opposition au stade Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan où plusieurs leaders politiques opposés à un troisième mandat d’Alassane Ouattara s’étaient pressés à la tribune, deux semaines avant la tenue du scrutin.
Ce jour-là, l’ancien ministre, dont la candidature à l’élection vient d’être rejetée par le Conseil constitutionnel, ne retient pas ses coups. Il fustige « une patrie menacée par des gens sans foi ni loi », « une équipe mafieuse » et appelle à « barrer la route à Ouattara ».
Quelques jours après ce grand rassemblement, ces mêmes leaders de l’opposition officialiseront leur intention de boycotter le scrutin après s’être entendus en faveur d’un appel à la désobéissance civile. La présidentielle se fera sans eux. Tensions communautaires, violences dans le pays, polarisation politique extrême… La Côte d’Ivoire manquera de retomber à nouveau dans l’abîme.
« Le président a compris »
« La colère est mauvaise conseillère », analyse aujourd’hui Albert Mabri Toikeusse. Vieux routier de la politique ivoirienne, tour à tour ministre du Plan et du Développement, de la Coopération et de l’Intégration africaine, des Affaires étrangères et, enfin, de l’Enseignement supérieur, il évoque, à propos de sa déclaration au stade, « une réaction démesurée ». « Le président a compris », assure celui qui a été nommé, en mai dernier, ministre-conseiller à la présidence sur les questions politiques.
Comme lui, ils sont une poignée, ces derniers mois, à avoir fait leur retour au plus près du chef de l’État ivoirien, alors que l’élection présidentielle, à laquelle Alassane Ouattara n’a pas encore dit s’il entendait être candidat, approche. Parmi ces revenants, on trouve d’anciens alliés partis un temps dans l’opposition et des fidèles temporairement écartés, qui tous avaient œuvré à la victoire de 2015.
Si ces nominations ont en commun de satisfaire des besoins électoralistes grâce à l’implantation régionale des uns et des autres, elles répondent aussi à la promesse faite par le président d’une élection « apaisée », après une campagne chaotique en 2020. « Les périodes préélectorales sont des périodes d’opportunités pour ceux qui sont désireux de retrouver le cœur du pouvoir, note un bon connaisseur de la politique ivoirienne qui a souhaité garder l’anonymat. Mais pour Alassane Ouattara, c’est aussi une manière de baliser le terrain, de garder un œil sur eux. »
« Chez moi, au village, on dit que des frères peuvent se détourner du regard, mais pas du cœur », soutient Albert Mabri Toikeusse, qui fut en rupture avec le président ivoirien après s’être opposé à la décision de ce dernier d’adouber le Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, comme dauphin en 2020 − son décès quelques mois plus tard avait modifié les plans, Alassane Ouattara s’étant finalement présenté en arguant d’« un cas de force majeure».
Autour du chef de l’État, Mabri Toikeusse incarne l’homme fort de l’ouest du pays, grande région agricole, productrice de cacao, qui aiguise les appétits politiques. Avec son Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire (UDPCI), parti fondé par le général Robert Gueï, il dirige depuis une décennie le Tonkpi, longtemps bastion du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI).
En 2022, au terme de longues tractations, Mabri avait rejoint de nouveau le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), dont l’UDPCI fut l’une des composantes lors de sa création en 2005. Un choc pour certains barons locaux de la majorité comme le ministre de l’Intérieur, Vagondo Diomandé, qui s’activaient pour réorganiser les structures locales. Mais les tensions ne pèsent pas grand-chose face au gain politique : ce ralliement avait fait rebasculer la région dans l’escarcelle de la majorité présidentielle. « Le président n’a même pas eu à le demander, je compte bien mettre à profit mon influence dans cette zone pour les besoins du parti », assure-t-il.
Crispations et réserves
Autre retour, autre profil. Pendant plus de 30 ans, Marcel Amon Tanoh a tout vécu aux côtés d’Alassane Ouattara. Directeur de cabinet au sein du Rassemblement des républicains (RDR) dès 1999 et entré au gouvernement en 2002 au poste de ministre des Transports, il avait brutalement claqué la porte du ministère des Affaires étrangères en 2020, à la suite de l’annonce de la candidature d’Amadou Gon Coulibaly. Au stade Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan, lors du meeting de l’opposition, l’homme que l’on dit rugueux s’empare du micro. « Dites-lui de libérer notre pays. Nous sommes prêts à mourir pour notre pays ! », lance-t-il à l’attention d’Alassane Ouattara.
Malgré la trahison, l’amitié entre les deux hommes survivra. En décembre dernier, Marcel Amon Tanoh a été nommé conseiller spécial du président au sein du RHDP, après un passage au Conseil de l’entente comme secrétaire exécutif, dont il partira après des accusations de mauvaise gestion. Sa nomination aurait fait grincer des dents au RHDP, où cadres et militants retiennent leur souffle et attendent fébrilement la décision du président sur sa candidature. Marcel Amon Tanoh, incarnation du notable du Sud dans un parti essentiellement dirigé par des hommes du Nord, n’a en effet aucun mandat électoral en cours et ne s’est jamais véritablement investi au sein de la formation dirigée par Gilbert Koné Kafana. « Sa nomination a étonné, certains n’ont pas compris, mais c’est toujours bon de l’avoir avec nous que contre nous », constate cependant un membre du parti.
Dîner des ministres catholiques, en présence de Mgr Mauricio Rueda Beltz, ainsi que de plusieurs membres du gouvernement, au siège de la nonciature apostolique à Cocody, le 2 décembre 2024. © Facebook Bruno Nabagné Koné
Originaire de Jacqueville, à l’ouest d’Abidjan, par sa mère – la sœur de Philippe Yacé, l’ancien président de l’Assemblée nationale –, et d’Aboisso, au sud-est, par son père – Lambert Amon-Tanoh, cadre historique du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) –, il a promis au président de mobiliser dans la région du Sud-Comoé (sud-est). Une région qui est déjà largement pourvue en poids lourds de la majorité prêts à aller au combat, comme Aka Aouélé, président du Conseil économique, social, environnemental et culturel et président de la région, le ministre des Affaires étrangères Léon Kacou Houadja Adom ou encore Jean-Louis Moulot, maire de la commune de Grand-Bassam. « Marcel est un technicien, il a un potentiel, il sait ce qu’il peut faire, on ne l’attend pas forcément sur le terrain », estime pour sa part Gilbert Koné Kafana.
Les retenues liées à ce retour d’anciens alliés partis un temps dans l’opposition, Albert Mabri Toikeusse dit les comprendre. « Que certains aient des réserves ne m’étonnent pas, mais les uns et les autres doivent comprendre que nous devons avancer ensemble », affirme-t-il. « Aucune nomination ne plaît à tout le monde, abonde Kafana, mais on ne va pas en faire un problème. Si le président a décidé de les rappeler, c’est qu’ils ont du potentiel. Les gens peuvent déraper à tout moment, mais le président a cette capacité à pardonner les erreurs de ses collaborateurs. Il est chargé de rassembler tout le monde, et c’est ce qu’il fait. »
Dans le centre du pays, Alassane Ouattara pourra s’appuyer sur l’ancien président du Sénat Jeannot Ahoussou-Kouadio, ex-pilier du PDCI fait ministre d’État, conseiller spécial à la présidence. S’il a perdu sa région du Bélier lors des dernières élections locales, en 2023, ce vieux briscard de la politique conserve des liens d’amitié avec plusieurs cadres du principal parti d’opposition. En 2010, il fut le directeur adjoint de la campagne d’Alassane Ouattara, avant d’être nommé Premier ministre en 2012 (un poste auquel il restera seulement un an), puis de nouveau directeur de campagne du président en 2015.
Achi retrouve ses habitudes
Les cartons de Patrick Achi ne sont pas encore arrivés au premier étage de l’ancien palais présidentiel où il est prévu qu’il investisse prochainement le bureau occupé par l’actuel ministre de la Défense et frère du président, Téné Birahima Ouattara, lorsque ce dernier était directeur des Affaires administratives et financières de la présidence. La pièce, spacieuse et lumineuse, se trouve à quelques pas seulement du cabinet de travail d’Alassane Ouattara. Le chef de l’État a préféré s’installer dans ce bâtiment rénové chargé d’histoire, érigé sous la présidence de Félix Houphouët-Boigny, plutôt que d’investir « l’Esplanade », le nouvel immeuble moderne à la façade vitrée construit à quelques dizaines de mètres de là. Les habitudes ont la vie dure.
Patrick Achi, lui aussi, a longtemps eu ses habitudes ici. Pendant plus de deux décennies, il a arpenté les larges couloirs de cet antre du pouvoir comme ministre, secrétaire général de la présidence puis Premier ministre. Jamais loin des affaires du pays. Mais après son départ surprise de la primature en octobre 2023, Alassane Ouattara lui préférant Robert Beugré Mambé, Patrick Achi a pris la tangente d’abord comme professeur pendant un semestre à l’université américaine d’Harvard, puis comme consultant pour la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI).
Le 17 février, lui aussi a finalement été rappelé. Officiellement nommé conseiller spécial à la présidence − avec rang de ministre d’État −, il a désormais la charge de gérer certains dossiers économiques, lui qui avait fait partie de l’équipe chargée de l’élaboration des stratégies de développement du pays. Il devrait participer à l’élaboration du programme présidentiel et mobiliser les électeurs dans sa région de la Mé, que cet ancien du PDCI dirige depuis une dizaine d’années. « Ce retour était attendu et il a été très bien accueilli. Contrairement à d’autres, Achi n’a jamais trahi, il ne s’est jamais opposé publiquement au président », remarque un acteur du camp présidentiel.
Enfin, Philippe Serey-Eiffel
Philippe Serey-Eiffel, arrière petit-fils de Gustave Eiffel et ancien puissant directeur de cabinet, puis conseiller spécial d’Amadou Gon Coulibaly devrait aussi retrouver le chemin du Palais, selon les informations de Jeune Afrique. Un retour surprenant pour celui qui avait pris ses distances avec la présidence ivoirienne et tentait, depuis la France, un rapprochement avec Tidjane Thiam, le nouveau président du PDCI
Source : Jeune Afrique
NB : le titre et le chapeau sont de notre rédaction