
Deux ans sans Bédié: Un parti ancien, des fractures nouvelles, le PDCI en perte de repères
Lemandatexpress – Affaibli par des divisions internes, confronté à l’inéligibilité de son candidat Tidjane Thiam et secoué par des arrestations dans ses rangs, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) peine à se relever deux ans après la disparition de son leader historique, Henri Konan Bédié. Alors que l’échéance présidentielle approche, les incertitudes s’accumulent au sein de l’un des piliers de la scène politique ivoirienne.
Dans la nuit du 1er août, militants et cadres du PDCI se sont réunis dans l’auditorium de la maison du parti à Abidjan pour une veillée religieuse en hommage à Henri Konan Bédié, disparu brutalement en août 2023 à l’âge de 89 ans. Au centre de la salle, son portrait trône toujours. L’émotion est palpable. Parmi les participants, une délégation du PPA-CI de Laurent Gbagbo, menée par Sébastien Dano Djédjé, ainsi que des figures de la société civile comme Pulchérie Gbalé.
Aby Akrobou Raoul Modeste, haut représentant de Tidjane Thiam dans la capitale économique, salue « l’œuvre immense » de l’ancien président du parti. « Ce que je suis aujourd’hui, je le dois au président Bédié », confie-t-il. Après la cérémonie, les hommages se poursuivent, certains militants venant s’incliner devant le portrait de leur mentor, d’autres immortalisant ce moment de recueillement en photo.
Plus tôt, une prière avait été organisée à Pépressou, village natal de Bédié. Si plusieurs figures du parti s’y sont rendues, l’absence la plus remarquée a été celle de son successeur, Tidjane Thiam. Depuis plusieurs mois, l’ex-financier est établi à Paris, invoquant des raisons de sécurité. Début avril, une décision judiciaire a acté sa radiation de la liste électorale, au motif qu’il était encore de nationalité française au moment de son inscription.
Deux ans après, le souvenir de Bédié divise encore. Certains cadres dénoncent la précipitation avec laquelle sa succession a été organisée. « Il était encore chaud à Ivosep que l’on se battait déjà pour le remplacer », regrette Valérie Yapo, proche du défunt. Selon Jeune Afrique, une polémique avait éclaté après le retrait de ses portraits au siège du parti, remplacés brièvement par ceux de Tidjane Thiam avant d’être réinstallés face à la grogne.
Henri Konan Bédié avait dirigé le PDCI sans interruption de 1994 à sa mort. Son ancien directeur de cabinet, Jean-Noël Loucou, qualifie sa présidence de « symphonie inachevée », rappelant les performances économiques enregistrées sous son mandat, notamment entre 1995 et 1997. Plusieurs grands chantiers lancés à l’époque – tels que la modernisation de l’aéroport Félix Houphouët-Boigny ou l’autoroute Singrobo-Yamoussoukro – structurent encore aujourd’hui l’économie du pays. Son héritage reste néanmoins entaché par la relance du concept controversé d’« ivoirité », souvent accusé d’avoir nourri des divisions identitaires.
Depuis sa disparition, le parti peine à retrouver son équilibre. L’élection de Tidjane Thiam à la tête du PDCI, en décembre 2023, a accentué les dissensions. L’écartement de figures historiques, comme l’ancien secrétaire exécutif Maurice Kakou Guikahué, a laissé des cicatrices. Des recours ont été déposés en justice pour contester la régularité de l’élection interne. Deux camps se dessinent : les partisans de Thiam qui défendent son leadership et ceux qui dénoncent un manque de respect des règles internes.
Plus largement, des cadres déplorent l’absence de dialogue. « Cela fait deux ans que nous n’avons pas eu de bureau politique digne de ce nom », regrette une responsable du parti. Dans ce contexte, l’inéligibilité de Tidjane Thiam fragilise davantage le PDCI. À l’approche de la présidentielle d’octobre 2025, la direction assure qu’aucun plan B n’est envisagé, mais la base s’interroge. L’absence de candidat pourrait peser lourd sur la dynamique du parti, déjà en perte de vitesse depuis la chute de Bédié en 1999.
Pour peser dans la bataille électorale, le PDCI renforce son alliance avec le PPA-CI de Laurent Gbagbo, lui aussi déclaré inéligible. Héritage de l’ère Bédié, cette entente politique avait permis de présenter des listes communes lors des législatives de 2021, puis d’établir des accords locaux lors des élections municipales de 2023, avec des résultats mitigés.
Le 9 août dernier, les deux partis ont organisé une manifestation conjointe à Yopougon, bastion de l’opposition. Des milliers de militants ont répondu à l’appel. Les résultats cumulés des députés du PDCI et du PPA-CI y dépassent ceux d’Adama Bictogo, président de l’Assemblée nationale et candidat du pouvoir lors des dernières municipales. Ce rassemblement a marqué une démonstration de force, dans un contexte tendu par l’arrestation de plusieurs jeunes cadres du PDCI.
En coulisses, à en croire Jeune Afrique, certains évoquent une crise de confiance durable. Si le parti veut rester un acteur central de la vie politique ivoirienne, il devra, au-delà de l’hommage à son ancien leader, se réconcilier avec lui-même.
Abran Saliho avec Jeune Afrique































