
Côte d’Ivoire : Tidjane Thiam a-t-il dépassé les limites dans son bras de fer avec Alassane Ouattara ?
Lemandatexpress – À une semaine de la présidentielle ivoirienne, la scène a fait grand bruit. Depuis Paris, où il réside depuis mars, Tidjane Thiam a lancé un appel à « libérer la Côte d’Ivoire », galvanisant une foule de militants venus protester contre un éventuel quatrième mandat d’Alassane Ouattara. L’intervention, filmée sous tous les angles, est devenue virale, s’imposant à la une de plusieurs journaux dès le lendemain. Pour le camp présidentiel, le leader du PDCI a franchi une ligne rouge selon Jeune Afrique.
Le 18 octobre, entouré de drapeaux ivoiriens et de pancartes hostiles au pouvoir, Thiam prend la parole sur une estrade improvisée : « Rien n’est plus important que la semaine qui vient. Nous avons sept jours pour libérer la Côte d’Ivoire », lance-t-il. Ses propos enflamment les réseaux sociaux.
Pendant ce temps à Abidjan, la campagne bat son plein. Les affiches des cinq candidats Alassane Ouattara, Simone Ehivet Gbagbo, Jean-Louis Billon, Henriette Lagou et Ahoua Don Mello tapissent les rues, sur fond de tensions persistantes. Plus de 700 personnes ont été interpellées lors de la dispersion d’une marche interdite de l’opposition.
Le 25 octobre, Ouattara est réélu sans surprise. Le scrutin a été marqué par la mort de 11 personnes et l’arrestation de plus de 1 600 individus. Écarté de la course pour avoir renoncé trop tard à sa nationalité française, Tidjane Thiam a maintenu sa candidature jusqu’au bout, aux côtés de Laurent Gbagbo, lui aussi recalé par le Conseil constitutionnel.
Mais c’est son discours parisien qui continue d’alimenter la polémique. Le pouvoir juge l’appel « inacceptable », malgré les explications ultérieures du patron du PDCI, qui évoque un « trait d’humour » et assure qu’il voulait seulement dire « sauver » le pays. « Si Monsieur Thiam rentre au pays, il devra s’expliquer », glisse une source gouvernementale à Jeune Afrique. Aucune procédure judiciaire n’a toutefois été enclenchée.
Une relation autrefois cordiale
Loin de cette confrontation actuelle, les deux hommes ont pourtant entretenu une relation apaisée dans le passé. Selon Jeune Afrique, ils ont multiplié les rencontres à partir de 2021, jusqu’à un déjeuner en juin 2022 à Mougins, lieu de villégiature du couple présidentiel. Une rencontre facilitée par Dominique Ouattara, après un échange fortuit avec Thiam à Paris.
Ce jour-là, rappelle le président du PDCI, Ouattara lui aurait assuré qu’il ne serait pas candidat en 2025 une version contestée dans l’entourage présidentiel. Le chef de l’État s’était même engagé à faciliter le retour sécurisé de Thiam en Côte d’Ivoire, lui promettant un passeport ivoirien.
Deux héritiers de l’houphouëtisme désormais opposés
Les deux hommes, économistes de formation, revendiquent tous deux l’héritage d’Houphouët-Boigny. Mais depuis 2023, et l’accession de Thiam à la tête du PDCI, les rapports se sont nettement dégradés.
Depuis Paris, l’ancien patron du Credit Suisse adopte un ton de plus en plus offensif, notamment après l’annonce de sa radiation de la liste électorale en avril. Lors d’un entretien à AFO Média en juillet, il écarte toute comparaison avec Ouattara, jugeant leurs parcours incomparables : « Un fonctionnaire au FMI gagne 400 000 à 500 000 dollars par an ; un CEO du Fortune 500 touche 10 millions de Dollars par an, c’est vingt fois plus! Ce n’est pas la même chose ! ». «Même Dieu n’a pas fait l’unanimité », a-t-il fait savoir lors du même entretien.
Ses critiques ne plaisent guère au palais présidentiel. « On ne comprend pas pourquoi il a commencé à s’en prendre à Alassane Ouattara, à le critiquer tant publiquement qu’en privé », s’irritent des proches du pouvoir.
Une tentative de médiation avortée
Selon les informations de Jeune Afrique, une médiation a été tentée avant la présidentielle, à l’initiative de Thiam, via Simon Doho, Aziz Thiam (son frère aîné) et Fidèle Sarassoro, directeur de cabinet de Ouattara. Elle n’a abouti à rien.
Résultat : à l’approche des législatives de décembre, le PDCI se retrouve engagé dans une bataille électorale sans la présence physique de son leader, toujours en France, et après des négociations internes tendues pour l’investiture de certains candidats.
Abran Saliho avec Jeune Afrique































