
Présidentielle 2025 : Une opposition unie par le rejet de Ouattara et non par la vision
Lemandatexpress – À l’approche de l’élection présidentielle, les alliances se multiplient au sein de l’opposition ivoirienne. Un front commun semble se dessiner contre Alassane Ouattara. Mais cette union repose-t-elle sur un véritable projet ou uniquement sur un ressentiment partagé ?
Dans les salons feutrés d’Abidjan comme dans les quartiers populaires de Yopougon, une interrogation revient en boucle : que peuvent réellement espérer ces figures politiques longtemps opposées, aujourd’hui réunies contre un ennemi commun ? Laurent Gbagbo, Guillaume Soro, Simone Ehivet Gbagbo, Charles Blé Goudé, Tidjane Thiam ou encore Pascal Affi N’Guessan. Tous se retrouvent dans un même rejet d’Alassane Ouattara. Est-ce suffisant pour bâtir une alternative crédible ?
La recomposition politique actuelle a des allures de théâtre d’ombres.
En effet, les protagonistes sont connus. Leurs différends aussi. Aujourd’hui pourtant, ces anciens rivaux se disent prêts à marcher ensemble. On retrouve ainsi Guillaume Soro, jadis chef rebelle, artisan de la chute de Gbagbo en 2010, aujourd’hui en quête de réhabilitation politique. Simone Gbagbo, autrefois farouche et intransigeante, cherche à nouer des alliances. Pascal Affi N’Guessan alterne les positions, tantôt allié du pouvoir, tantôt opposant virulent. Même Tidjane Thiam, longtemps resté à l’écart du tumulte ivoirien, a fini par se laisser entraîner dans la mêlée, convaincu que le président Ouattara a entravé son retour sur la scène nationale.
L’unité dans le rejet, pas dans la vision
Derrière cette coalition bigarrée se cache une réalité plus complexe. A en croire le confrère Jeune Afrique, les rancunes et les blessures du passé sont loin d’avoir disparu. Peut-on imaginer Simone Gbagbo avoir oublié son arrestation et son humiliation après la chute de son mari ?
Que Charles Blé Goudé ait pardonné à ceux qui l’ont laissé tomber pendant ses années de détention à La Haye ? Que Gbagbo lui-même tende la main à Soro, qu’il considère comme l’un des principaux responsables de son éviction ? Ou encore que Soro voie en Thiam autre chose qu’un technocrate étranger aux luttes qui ont façonné la scène politique ivoirienne ces deux dernières décennies ?
Ce front commun contre Ouattara, présenté comme un pacte de salut national, ressemble davantage à une alliance de circonstances dictée par le ressentiment. Les appels à l’unité, à la démocratie et à la réconciliation sonnent souvent creux face à l’histoire tumultueuse de ces relations.
L’héritage d’Houphouët : un trône instable
Depuis la mort de Félix Houphouët-Boigny en 1993, la Côte d’Ivoire peine à trouver un équilibre politique durable. Le père fondateur avait su incarner un arbitre, un centre de gravité autour duquel s’organisait la vie politique. Après lui, ce fut la déchirure. Henri Konan Bédié, Alassane Ouattara, Laurent Gbagbo… Tous ont tenté, à un moment ou à un autre, de s’allier contre l’un ou l’autre, avant de se trahir à nouveau.
Les exemples abondent. En 1995, le Front républicain entre Gbagbo et Ouattara boycotte le scrutin. En 1999, un coup d’État renverse Bédié. En 2010, c’est l’alliance entre Bédié et Ouattara qui permet la victoire contre Gbagbo. Une fois ce dernier envoyé à La Haye, les dissensions ne tardent pas à ressurgir. Et en 2020, le divorce est consommé.
Dans ce climat d’instabilité permanente, les grands discours sur la démocratie et la réconciliation peinent à convaincre. Les mêmes figures refont surface, les mêmes alliances se reforment, comme si le passé devait inlassablement se rejouer.
Aujourd’hui, selon Jeune Afrique, cette opposition plurielle, divisée et vieillissante donne l’image d’une armée sans stratégie. Les ambitions personnelles dominent. Les egos s’entrechoquent. Et chacun espère tirer profit du désordre ambiant. Les uns pour retrouver leur place perdue, les autres pour exister dans une arène politique saturée.
Pendant ce temps, Alassane Ouattara, discret, attend. Il observe ces coalitions fragiles, conscient qu’elles pourraient s’effondrer d’elles-mêmes. Il sait que les divergences idéologiques, les rancunes personnelles et les rivalités de leadership finiront par ressurgir. Il sait aussi qu’en l’absence d’un vrai projet d’alternance, le rejet de sa personne ne suffira pas à galvaniser les électeurs.
Un pays en quête de sens
Dans ce jeu de pouvoir sans fin, les Ivoiriens attendent autre chose. Ils veulent tourner la page des trahisons, des deals entre anciens ennemis, des revanches personnelles déguisées en programmes politiques. Ils réclament des idées, des propositions concrètes, une vision claire pour le pays. Ils aspirent à une relève sincère, à une nouvelle génération de leaders intègres, capables de porter une ambition collective, loin des querelles d’ego.
Car un véritable projet politique ne peut pas se résumer à « tout sauf Ouattara ». Il doit s’appuyer sur une vision, une cohérence, une capacité à fédérer autour d’un avenir commun.
Par ailleurs, l’histoire politique ivoirienne l’a prouvé : on ne construit pas un pays sur des rancunes recyclées. Le pardon est nécessaire, mais il ne doit pas effacer la mémoire. Il doit ouvrir la voie à une réconciliation sincère, fondée sur le respect, la vérité et le courage politique.
A.S avec Jeune Afrique































