
Côte d’Ivoire: Laurent Gbagbo, dernier combat politique ou erreur stratégique de trop au détriment de la gauche ?
Lemandatexpress – Dans un entretien à AFO média à l’orée de la présidentielle d’octobre, Laurent Gbagbo assurait vouloir tourner la page après les législatives du 27 décembre. Mais dans les faits, l’ancien président semble déterminé à livrer une dernière bataille, quitte à raviver les vieux démons de la scène politique ivoirienne.
Entre la relance du dossier des prisonniers d’opinion et la remise sur la table de la crise postélectorale de 2010-2011, Gbagbo donne l’image d’un homme qui refuse de quitter la scène sans avoir, selon lui, rétabli « sa vérité ».
Sur la question des prisonniers d’opinion, le discours trouve encore un certain écho. Le climat politique, bien que plus apaisé qu’au lendemain des crises passées, reste marqué par des frustrations, notamment dans les rangs de l’opposition. Mais cette initiative intervient dans un contexte où la gauche ivoirienne est plus divisée que jamais, incapable de parler d’une seule voix. Mieux, toutes les offensives de Gbagbo, de l’appel de Bonoua au front commun, ont fait chou blanc. Une débâcle qui a laissé des traces profondes et mis en lumière les limites du leadership fédérateur de Gbagbo.
La décision de remettre au centre du débat la crise de 2010 surprend davantage. En revendiquant à nouveau sa victoire proclamée par le Conseil constitutionnel et en mettant en cause la France et l’ONU, le « Woody de Mama » reste fidèle à son récit. Mais pour une large partie de l’opinion, ce retour en arrière sonne comme un décalage avec les réalités actuelles.
“Gbagbo sait-il que nous sommes en 2025, bientôt en 2026 ? Qu’a-t-il à vouloir nous ramener en 2010 ? Sait-il qu’il y a eu des élections en 2015, en 2020, et récemment en 2025 ? Gbagbo, s’il te plaît, reste dans tes histoires, chérie ta Nady adorée, et laisse-nous avancer”, a réagi Venance Konan, estimant que le président du PPA-CI, malgré son statut historien, tronque les faits.
Au fait, les préoccupations des populations portent désormais davantage sur le pouvoir d’achat, l’emploi des jeunes et la stabilité sociale que sur les querelles du passé.
À cette séquence déjà polémique sont venues s’ajouter les récentes révélations de Charles Blé Goudé. L’ancien leader des Jeunes patriotes, aujourd’hui en rupture assumée avec Gbagbo, a levé un coin du voile sur les non-dits de la crise de 2010 et sur les relations internes au camp souverainiste. Ses déclarations, perçues par certains comme un règlement de comptes, ont surtout mis en évidence l’éclatement définitif de l’ancienne famille politique. Elles fragilisent encore davantage le narratif porté par le PPA-CI et alimentent le doute chez une base militante déjà désorientée.
Dans le même temps, le Front populaire ivoirien, maison-mère de la gauche historique, continue de se déchirer. Deux courants se font face : celui conduit par Affi N’guessan et celui incarné par Diabaté Beh. Cette fracture, loin d’être anecdotique, illustre la crise profonde d’identité et de leadership qui traverse la gauche ivoirienne. Incapable de se réconcilier, le FPI apparaît aujourd’hui comme un parti fragmenté, affaibli, et relégué à la marge des grands enjeux politiques nationaux. Au regard de tout cela, une partie de l’élite et de l’opinion soutient que Laurent Gbagbo semble prisonnier de son passé, au moment même où Alassane Ouattara entame un nouveau mandat marqué par une forte reconnaissance internationale et une présence diplomatique remarquée lors de son investiture.
Dès lors, une question s’impose : jusqu’où Laurent Gbagbo est-il prêt à aller dans ce dernier combat ? En cherchant à solder les comptes de l’histoire, ne risque-t-il pas d’hypothéquer l’avenir politique de la gauche ivoirienne déjà en miettes ? L’attitude radicale adoptée par son parti lors de la présidentielle, avait occasionné la candidature indépendante d’un Ahoua Do Mélo, qui militait pour un plan B à l’option Gbagbo. Pour les législatives, ce sont plusieurs cadres du PPA-CI, qui ont boycotté le mot d’ordre de boycott de la direction. Là encore là politique de la chaise vide n’a pas
Du coup, à l’heure de la transmission générationnelle et du renouvellement du personnel politique, le baroud d’honneur de l’ancien chef d’État ressemble plus à un combat solitaire, mené contre le temps, contre l’évolution du pays, et parfois même contre ses anciens alliés.
M.Galé































